lundi 15 décembre 2008

La femme à l'imperméable rouge

"Alors, vous entrez ou vous restez sous la pluie?"
Je reste sans bouger devant le taxi. Le chauffeur s'impatiente. Il fait nuit alors qu'il n'est que 17h, c'est déprimant. La flotte dégouline le long de mes joues, mes cheveux se collent à mon visage. Je suis trempé et tout m'emmerde. Je tourne la tête vers l'immeuble derrière moi. Le chauffeur continue a grogner. L'appartement d'Alice est éclairé, la lumière fait apparaître quelques gouttes de pluie. L'ombre d'Alice bouge sur le mur de la salle de bain.
"Ah tout de même! J'ai pas que ça à foutre moi m'sieur. Où j'vous amène?"
J'attache ma ceinture en foutant de la flotte partout. Je donne l'adresse au chauffeur et il démarre à toute vitesse.
"Qu'est-ce vous foutez en tee-shirt par un temps pareil?" il dit en me fixant dans le rétroviseur.
"Il faisait beau cet après-midi" je marmone.
Un sanglot incontrôlé m'échappe.
"Putain... mais pourquoi... merde!" je tonne en m'écrasant la tête sur le dossier du chauffeur.
"Wow! Vous allez bien?"
"Nan ça va pas bien" je lui dis, la tête toujours enfoncée dans le cuir du fauteuil.

Ce type me plaît pas. Je sèche mes larmes qui se mêlent à la pluie sur mes joues et regarde la ville défiler par la fenêtre. Toutes les vitrines sont illuminées, les voitures roulent dans tous les sens en klaxonnant comme des malades. Tout se mélange dans ma tête, les effusions de lumières me cassent les yeux, alors je souffle contre la vitre et dessine le visage de Valentine sur la buée.
"Hé me salopez pas mes vitres vous!" gueule le chauffeur.
Je l'ignore et sors mon portefeuille de mon futal. Il est gorgé d'eau. Fait chier. En l'ouvrant je tombe sur une photo d'Alice. Je la regarde un moment puis ferme les yeux. J'appuie sur le bouton et ma vitre s'ouvre. Je balance la photo.
"Wow! Ca va pas, qu'est-ce vous venez de lancer là?"
Ce type commence vraiment à m'énerver.
"Une photo, pas la peine de brailler."
"Ouai ben fermez-moi cette vitre maintenant, vous faites entrer toute la flotte!"
Tout m'énerve, j'en peux plus d'être dans ce taxi à la con.

Je jette un oeil dans le rétro. Le chauffeur a une tête de vieil alcoolique. J'imagine qu'il n'en glande pas une à la maison, que sa femme est à ses ordres, qu'il passe son temps à picoler en zappant devant sa TV pourrave. Ce connard a pas l'air commode du tout. Je parie que ses enfants se sont cassés depuis longtemps et qu'ils ne reviennent jamais le voir. Le soir il doit battre sa femme après s'être enfilé un pack de bière dégueulasse. La pauvre femme est tellement engluée dans leur routine pourrie qu'elle ne pense même pas à divorcer. Même si elle y pensait, elle aurait trop peur de se faire buter par ce connard.
"Pourquoi vous-avez jeté cette photo par la fenêtre?"
"En quoi ça vous regarde?" je lance en sortant un paquet de tabac trempé coincé à l'arrière de mon jean.
"Ben j'sais pas vous êtes dans MON taxi j'suis en droit d'savoir pourquoi vous balancez des trucs par MA fenêtre."
J'arrive à trouver quelques miettes de tabac sec au fond du paquet et commence à rouler une clope. Le chauffeur me fixe dans le rétro.
"Wow! Rangez moi ça tout de suite! On ne fume pas dans mon véhicule!"
Ma langue parcourt les feuilles, le taxi accélère soudainement. Je lève les yeux vers le rétro. La tronche du chauffeur est toute rouge, prête va exploser. Il n'arrête pas de pester contre les voitures qui roulent trop lentement. Ce type ne sait pas conduire correctement. Il ne s'arrête jamais aux passages cloutés et manque d'écraser les piétons.
"Calmez-vous putain, vous roulez comme un dingue! je lance en m'accrochant à son dossier. Vous êtes en ville là, les gens qui traversent sont prioritaires j'vous signale espèce de chauffard!"
"Dites, vous allez me causer autrement jeune homme ou jvous laisse ici!"
On arrive à un feu rouge, il pile. J'ai cru qu'il allait le griller.
"Les branleurs de votre espèce j'en ai ma claque!"

Je regarde les essuie-glaces danser sur le pare-brise. Une femme traverse devant le taxi. Elle atteint le trottoir, je la suis des yeux. Elle porte un long imperméable rouge et une paire de bottes noires. Le feu des piétons passe au rouge, j'ouvre ma porte.
"Vous faites quoi là?"
Je sors du taxi, le chauffeur se met à gueuler.
"Wow! Mais tu m'as pas payé espèce d'enculé!"
"J'vais fumer ma clope dehors, ciao" je dis en claquant la porte.
C'est vert, les voitures commencent à klaxonner sur le taxi qui démarre pas. J'arrive sur le trottoir, j'entend toujours le chauffeur brailler, comme enragé. La belle femme à l'imperméable rouge arrive au bout de la rue, elle tourne sur la gauche. Je me retourne vers le taxi au cas où le chauffeur serait sorti pour me péter la gueule. Il vient de démarrer.
"Pauvre type" je dis en le regardant rouler.

Je me mets à courir jusqu'au bout de la rue puis je tourne sur la gauche. La femme à l'imperméable rouge est plus loin sur le trottoir d'en face. Elle s'apprête à entrer dans un immeuble. Je repère le numéro et me dépêche de traverser la chaussée en évitant de me faire écraser par les voitures énervées. Quand j'arrive à l'immeuble en question je saute sur la porte, m'excite sur la poignée mais y'a rien à faire, elle est fermée.
"Merde"
Je recule jusqu'au milieu de la route et me plante sur la bande blanche. Je fixe la façade de l'immeuble en plissant les yeux car la pluie me tombe sur la gueule. Les voitures me frôlent en giclant des pneus. La lumière s'allume au dernier étage, dévoile un salon plutôt classe et assez spacieux. Dans leurs gros pots, de jolies plantes poussent devant la baie vitrée. Un grand canapé en cuir rouge est calé contre le mur de gauche, au-dessus, Le déjeuner des canotiers trône. Une femme apparaît.
"C'est elle" je crie, soulagé.
Je remarque qu'elle a retiré son imperméable rouge puis elle disparaît. Un chauffard me klaxonne dessus et la cuisine s'allume. Je songe a essayer d'atteindre la fenêtre de la cuisine en lançant des cailloux mais une vieille dame retient mon attention. Elle est toute voûtée, avance lentement en traînant un caddie au motif écossais. La vieille s'arrête à la porte de l'immeuble et commence à taper le code. J'atteins le trottoir d'un bond et attend contre le mur. La vieille met des plombes à entrer le code.

Au moment où elle entre je retiens la porte qui se referme et entre à mon tour. En me voyant elle sursaute et pousse un petit cri aigu, presque inaudible.
"Sale temps hein?" je lui dis en secouant la tête et en m'essuyant les pieds sur le grand paillasson.
Elle me regarde avec de grands yeux, terrorisée, sans pouvoir faire un geste.
"Madame?" je demande en m'approchant d'elle.
La vieille reste plantée au milieu du hall, agrippée à son caddie. Un taxi s'arrête devant l'immeuble. Une femme et son gosse descendent. Le jeune garçon s'avance vers la porte et tape le code pendant que sa mère règle la course.
"Ouh putain" je lâche en reconnaissant le chauffeur alcoolique. Il ne m'a pas vu. Affolé je pense pas à prendre l'ascenseur alors je grimpe les escaliers en courant.

J'arrive au dernier étage, essoufflé. Il n'y a qu'une porte. Je lis le nom sur la sonnette.
"Mademoiselle Susan Robinson, ça doit être ça."
Je colle mon oreille contre la porte froide. La TV est en marche. Susan parle avec quelqu'un. Elle semble être au téléphone, j'écoute un moment puis je sonne. Sa voix se rapproche.
"J'te rappelle plus tard Laurie, j'ai d'la visite. Bisous, ciao."
Ses pas se sont arrêtés, elle est derrière la porte. Elle m'observe par le judas, j'entends son souffle.
Elle finit par ouvrir. Elle est vraiment très jolie dans son tailleur blanc.
"Oui?" elle demande en mâchant énergiquement un chewing-gum.
Je souris. Une bulle éclate.
"Bonsoir mademoiselle Robinson."
Elle me dévisage, fronce les sourcils. Mes yeux suivent la ligne de ses hanches.
"Que voulez-vous?"
"Euh... en fait, je vous ai vue tout à l'heure, j'étais dans un taxi, vous traversiez la rue. Comme je vous ai trouvée très belle... je suis sorti et je vous ai suivie jusqu'à votre immeuble."
Susan Robinson ne dit rien, fixe mes fringues qui dégoulinent sur son paillasson orné d'un chien qui me dit "Welcome!". Je regarde Susan Robinson, la trouve de plus en plus belle.
"Je..."
"Non mais qu'est-ce que vous croyez? Pour qui me prenez-vous jeune homme? Vous croyez que je vais me jeter dans vos bras, vous faire entrer chez moi pour boire un verre..."
Mademoiselle Robinson me fait peur tout à coup, elle s'avance vers moi, je quitte le paillasson pour atterrir sur le carrelage dans couinement de godasses. Elle a l'air d'une furie, sa bouche s'ouvre et se ferme à une vitesse folle, sa voix résonne dans tête.
"... qu'ensuite on fera l'amour comme des dingues et qu'on vivra une superbe histoire d'amour... c'est ça que vous croyez?"

Une photo est accrochée au mur de l'entrée. Dessus y'a un type coiffé d'un chapeau noir qui tient Susan Robinson dans ses bras. Le type ressemble à Hugh Grant.
"Euh, mais... je... écoutez mademoiselle..."
"Descendez de votre nuage! J'ai un ami depuis plus d'un an, je l'aime..."
Elle s'arrête, me parcourt des pieds à la tête.
"... et vous avez une dégaine de branleur. Au revoir jeune homme!"
Susan Robinson claque la porte, la ferme à double tour.
"Pauvre type!" elle crie.
Elle marche vers son salon. Les talons de ses bottes noires cognent sur le plancher.
"Fait chier..." je murmure.
Je m'assieds sur les marches et me prend la tête au creux des mains. Je soupire. C'est la deuxième fois que j'me fais jeté aujourd'hui, les nanas me snobent. Putain qu'est-ce qu'il se passe?
Derrière moi, l'ascenseur arrive en lâchant un "ting" énervant. Je tourne la tête. Les portes s'ouvrent et un type sort. C'est le type de la photo. Il porte le même chapeau et un costard noir. Il ressemble vraiment à Hugh Grant, il a du style, un attaché-case dans la main gauche, un bouquet de roses sous le bras droit.
"Bonsoir" il dit en me voyant.
"L'enfoiré" je pense.
Le type sonne chez Susan, on reste se dévisager puis le verrou s'ouvre.

Je me lève et dévale les escaliers pendant que Susan Robinson se jette dans les bras de Hugh Grant.

Ronan Riou

mardi 2 décembre 2008

J'suis snob

Le Bien Vu! numéro deux: "J'suis Snob" Sortie le 8 décembre 2008